Ni McGurn, ni Capone ne pensèrent un seul moment que l'assassinat planifié de Bugs Moran serait un événement qui deviendrait notoire pour plusieurs dizaines d'années. Capone se prélassant en Floride, comment pouvait-on le rendre responsable du meurtre d'un contrebandier ? «Machine Gun» McGurn avait le plein contrôle de l'attaque. Il rassembla une équipe de première classe composée gens de l'extérieur : Fred «Killer» Burke en était le chef et était assisté par un tirreur du nom de James Ray. Deux autres membres étaient John scalise et Albert Anselmi, qui avaient été utilisés pour le meurtre de Frankie Yale. Joseph Lolordo faisait aussi partie du groupe, tout comme Harry et Phil Keywell, du Purple Gang de Détroit. Le plan de McGurn était créatif. Un contrebandier invita les membres du gang de Moran à le rencontrer dans un garage afin de leur offrir du whisky de qualité à un prix imbattable. La livraison allait être faite à 10h30, le 14 février. Les hommes de McGurn allaient les attendre vêtus d'uniformes de police et d'imperméables, donnant l'impression qu'un raid allait se dérouler.
|
John Scalise et Albert Anselmi
|
McGurn, à l'instar de Capone, voulait être le plus loin possible de la scène. Il se réfugia donc dans une chambre d'hôtel en compagnie de sa compagne. Établir un alibi en béton était sa priorité. |
Au garage, les Keywells apperçurent un homme ressemblant à Bugs Moran. L'escouade meurtrière enfila les uniformes de police et se rendirent au garage à bord de la voiture de police volée. Jouant leur rôle d'agents de police jusqu'au bout, les hommes de McGurn pénétrèrent dans le garage et y trouvèrent sept hommes, incluant les frères Gusenberg, ceux-là même qui avaient tenté d'assassiner McGurn.
Les contrebandiers, pris sur le fait, firent ce qu'on leur demandait ; ils s'alignèrent au mur. Les quatre hommes habillés en policiers s'emparèrent des armes des contrebandiers et ouvrirent le feu avec deux mitraillettes, un fusil à canon scié et un .45. Les contrebandiers s'affaissèrent, tous morts à l'exception de Frank Gusenberg qui respirait encore.
Afin de faire croire à leur charade, les deux policiers en imperméables levèrent leurs mains en l'air et sortirent devant les deux autres policiers, simulant une arrestation. Les quatre assassins quittèrent les lieux à bord de la voiture de police volée.
|
Le massacre de la St-Valentin (Société historique
de Chicago)
|
Le plan était brillant et avait été exécuté brillament à l'exception d'une chose : la personne visée, Bugs Moran, était absent. Moran était en retard et, appercevant la voiture de police, s'était enfui, ne voulant pas être arrêté lors du raid. Peu après, de vrais policiers arrivèrent au garage et apperçurent Gusenberg, transpercé de 22 balles, sur le plancher. «Qui a tiré ?» lui demanda le sergeant Sweeney. «Personne...personne ne m'a tiré dessus», murmura Gusenberg. Son refus d'impliquer ses meurtriers dura jusqu'à sa mort peu de temps après. |
|
«Machine Gun» Jack McGurn et Louise Rolfe,
«l'alibi blond» (Graham)
|
Ça ne prenait pas un génie pour découvrir que la cible du massacre était Bugs Moran et que le bénéficiaire, si le plan avait été mené à bien, était Al Capone. Malgré le fait que Capone ait été en Floride et que Jack McGurn ait un solide alibi, les policiers, les journaux et la population de Chicago savaient qui était responsable. La police pouvait difficilement arrêter Capone vu l'absence de preuves et McGurn avait épousé sa compagne, Louise Rolfe, mieux connue comme l'«alibi blond», qui de ce fait ne pouvait plus témoigner contre son nouveau mari. Toutes les charges contre lui furent donc abandonnées et personne ne fut accusé du spectaculaire assassinat. |
La publicité entourant le massacre de la St-Valentin fut sans précédent. Elle ne fut pas seulement locale mais l'événement médiatique au niveau national qui propulsa Capone dans la conscience nationale ; écrivains et journalistes se mirent à écrire des livres et des articles sur lui. Bergreen voit dans le massacre la consécration de Capone.«Il n'y avait jamais eu auparavant de criminel comme Capone. Il était élégant, avait de la classe, était la crème de la crème. Il était remarquablement effronté, continuant de vivre parmi la haute société de Miami et de proclamer son amour pour sa famille. Il ne passait pas pour un mésadapté social. Il jouait le rôle du millionnaire capable d'en apprendre aux hommes d'affaire de Wall Street sur la façon de transiger en Amérique. Personne n'était indifférent à Capone ; chacun avait son opinion sur lui...»
Capone appréciait sa notoriété et confia à Damon Runyon l'emploi d'agent de presse. Malgré tout, la publicité avait fait son œuvre. Il attira l'attention du président, Herbert Hoover. «J'ai donné l'ordre à toutes les agences fédérales de surveiller de près M. Capone et ses alliés» écrit-il. Au début du mois de mars 1929, Hoover demanda à Andrew Mellon, alors secrétaire trésorier, si il avait Al Capone dans ses filets. Hoover voulait voir Capone en prison. Quelques jours plus tard, Capone fut convoqué au tribunal de Chicago ; il ne semblait cependant pas réaliser le sérieux des preuves qui s'ammassaient contre lui.
Capone avait des choses plus pressantes à faire que de se présenter devant le tribunal. En effet, deux de ses collègues lui causaient des problèmes. Kobler décrit la scène dans laquelle Capone régla le problème. «Rarement avait-on vu les trois invités d'honneur s'asseoir devant un tel festin. Ils se régalèrent avec de la nourriture riche et piquante, arrosant le tout de plusieurs litres de vin rouge. Au bout de la table, Capone portait toast après toast à la santé de ses invités : Saluto, Scalise ! Saluto, Anselmi ! Saluto, Giunta !
Quand, bien après minuit, la dernière miette avait été avalée et la dernière goutte bue, Capone se leva. Un silence glacial emplit la salle. Son sourire avait disparu. Personne ne souriait à part les trois invités d'honneur, rassasiés, digérant tranquilement leur repas gargantuesque. Lorsque le silence s'alourdit, eux aussi devinrent silencieux. Ils parcoururent nerveusement des yeux la table alors que Capone se penchait vers eux. Ses paroles étaient perçantes. Croyaient-ils qu'il ne le savait pas ? Imaginaient-ils pouvoir cacher indéfiniment leur manque de loyauté, faute impardonnable ? Capone avait suivi la tradition à la lettre. Hospitalité puis exécution. Les siciliens étaient sans défense, ayant, à l'instar des autre invités, laissé leurs armes au vestiaire. Les gardes du corps de Capone se jetèrent sur eux, les attachant à leurs chaises et les baillonnant. Capone se leva, armé d'un bâton de baseball. S'avançant lentement vers le premier, il s'arrêta derrière lui. Avec ses deux mains, il brandit le bâton et frappa de toute ses forces. Lentement, méthodiquement, il frappa encore et encore, brisant tous les os des épaules, des bras et de la poitrine. Il alla ensuite derrière le deuxième invité et, lorsqu'il l'eut réduit en un amas de chair, s'attaqua au troisième. Un des gardes de corps alla chercher son révolver au vestiaire et logea une balle à l'arrière de la tête de chacun d'eux.»
|
|
|